Les décisions à prendre pour votre portefeuille avant l’entrée en vigueur du Paquet Brevet

Au cours de ces dernières années, le Cabinet Brevalex vous a régulièrement fait part des avancées concernant le Paquet Brevet, qui prévoit d’une part la création d’un brevet européen à effet unitaire, et d’autre part la mise en place d’une juridiction unifiée en matière de brevets (JUB). Cette nouvelle communication fait état de l’avancement des ratifications, et se focalise sur les décisions à prendre par les utilisateurs du système de brevets européens avant l’entrée en vigueur du Paquet Brevet.

 

I- Etat d’avancement des ratifications

A ce jour, l’entrée en vigueur du Paquet Brevet reste seulement subordonnée à la ratification par l’Allemagne et le Royaume-Uni de l’Accord sur la JUB. Les volontés politiques exprimées ces dernières semaines ne laissent planer aucun doute sur le fait que ces Etats majeurs de la PI en Europe souhaitent voir aboutir le Paquet Brevet, et en faire partie intégrante. L’Allemagne se trouve à un stade avancé de son processus de ratification, mais attendrait une évolution de la situation outre-Manche avant de le finaliser. De son côté, le Royaume-Uni avait amorcé la ratification de l’Accord sur la JUB avant de déposer sa lettre d’intention de quitter l’Union Européenne, mais a ensuite réaffirmé sa volonté de mener à son terme son processus de ratification avant sa sortie effective de l’Union. Une évolution rapide de la situation était donc attendue au Royaume-Uni, mais la décision récente de la Première Ministre de provoquer des élections législatives anticipées met un nouveau coup de frein au Paquet Brevet, qui peine à sortir de son statut de serpent de mer.

Ces évolutions laissent néanmoins à penser que le Paquet Brevet deviendra finalement une réalité, et à présent, l’incertitude réside davantage sur la date exacte de son entrée en vigueur, qui interviendra probablement entre l’automne 2017 et le printemps 2018. Plus précisément, en vertu des dispositions des textes régissant le Paquet Brevet, son entrée en vigueur interviendra après les dépôts des instruments de ratification allemand et britannique, le 1er jour du 4ème mois suivant le plus tardif de ces deux dépôts.

Pour préparer au mieux l’entrée dans la nouvelle ère de la PI, les utilisateurs du système de brevets européens doivent d’ores et déjà anticiper certaines décisions pour leurs portefeuilles. Il est important de souligner que les décisions à prendre ne concernent pas seulement les utilisateurs séduits par les opportunités offertes par le futur Paquet Brevet, mais également ceux souhaitant rester à l’écart de ce nouveau système.

 

II- Décisions anticipées en relation avec la création d’un brevet européen à effet unitaire      

Pour rappel, à compter de l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, le titulaire d’un brevet européen pourra demander l’effet unitaire dans un délai d’un mois à compter de la délivrance du brevet par l’Office Européen des Brevets. L’effet unitaire se produira alors dans plusieurs Etats Membres de l’Union Européenne, à savoir ceux :

i)        qui participent à la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire ; et

ii)       qui auront ratifié l’Accord sur la JUB à la date d’enregistrement de l’effet unitaire.

Les avantages d’un tel effet unitaire pour le brevet européen ont été discutés dans nos communications précédentes. Il permet en particulier de disposer d’un titre unique avec une portée géographique large, dont le maintien en vigueur s’effectue par le paiement d’une seule taxe annuelle.

Cependant, l’effet unitaire ne pourra être demandé que pour les brevets européens délivrés à partir de l’entrée en vigueur du Paquet Brevet. Par conséquent, pour les demandes de brevets européens se trouvant actuellement à un stade avancé de la procédure devant l’Office, il existe une forte probabilité que les brevets correspondants soient délivrés avant l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, et que ceux-ci ne soient donc pas éligibles à la protection unitaire.

Si le demandeur souhaite néanmoins tenter d’obtenir un effet unitaire pour ses futurs brevets européens issus des demandes se trouvant actuellement proches de la délivrance, les décisions suivantes pourraient malgré tout concourir à cet objectif.

 

Décision 1a : Retardement de la délivrance devant l’OEB

Un retardement de la délivrance augmenterait en effet les chances que celle-ci intervienne après l’entrée en vigueur du Paquet Brevet. Dans cette hypothèse, le brevet correspondant deviendrait alors éligible à la protection unitaire. 

Un tel retardement pourrait s’effectuer sous différentes formes, parmi lesquelles :

-          accomplir les actions énumérées à la Règle 71(3) CBE à la toute fin du délai de quatre mois prescrit par cette Règle ;

-          répondre à la Notification selon la Règle 71(3) CBE en requérant des modifications ou des corrections du texte envisagé pour la délivrance, dans le but d’attendre l’émission d’une nouvelle Notification au sens de la Règle 71(6) CBE et de bénéficier ainsi d’un nouveau délai de réponse de quatre mois ;

-          ne pas répondre à la Notification selon la Règle 71(3) CBE et attendre l’émission d’une Notification de perte de droits, à laquelle il faudrait ensuite remédier ;

-          dans des cas particuliers qui le justifieraient, et en tenant compte des risques associés à cette stratégie, provoquer un rejet de la demande pour ensuite former un recours devant l’Office.   

Ces artifices permettent assurément de retarder la délivrance, mais ne garantissent en aucun cas d’arriver à différer celle-ci postérieurement à l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, dont la date reste incertaine. Cependant, par cette prise de décision, le demandeur accentue fortement les chances de pouvoir bénéficier de la protection unitaire pour son futur brevet européen.     

 

Décision 1b : Dépôt d’une demande divisionnaire devant l’Office Européen des Brevets

Un tel dépôt de demande divisionnaire a pour but de servir de base à la délivrance d’un brevet portant sur la même invention que celle objet de la demande parente, mais à une date bien plus tardive à laquelle le Paquet Brevet sera probablement déjà entré en vigueur. Le brevet européen obtenu sur la base de cette demande divisionnaire pourra alors bénéficier de la protection unitaire souhaitée par le titulaire.

La mise en œuvre de cet artifice est facilitée par l’appréciation très souple du critère d’interdiction de double brevetabilité, dans la pratique actuelle de l’Office Européen des Brevets. Si, dans les circonstances de l’espèce, il est effectivement possible d’obtenir à la fois la délivrance d’un premier brevet sur la base de la demande parente, et la délivrance d’un second brevet sur la base de la demande divisionnaire, il peut alors s’avérer judicieux de maintenir les deux titres en vigueur. Effectivement, en enclenchant pour son premier brevet la demande d’Opt-Out (au sens développé dans la partie III ci-dessous), le titulaire augmente ses chances de conserver un titre qui présente un risque réduit d’être révoqué de façon centralisée.

Alternativement, et en tenant compte des risques associés, le demandeur peut également envisager d’abandonner la demande parente et de ne conserver que sa demande divisionnaire, notamment dans une optique de réduction des coûts.

Enfin, il est observé que les Décisions 1a et 1b conserveront également un intérêt après l’entrée en vigueur du Paquet Brevet. En effet, il ressort des points i) et ii) ci-dessus qu’à compter de cette entrée en vigueur, se succèderont différentes générations de brevets européens à effet unitaire, avec des couvertures géographiques distinctes. Après l’entrée en vigueur, toute nouvelle ratification de l’Accord sur la JUB par un Etat membre participant à la coopération renforcée enclenchera une nouvelle génération de brevets européens à effet unitaire, avec une protection géographique s’élargissant au territoire de l’Etat concerné (aucun effet rétroactif n’est prévu pour les brevets européens dont la protection unitaire a été demandée avant la ratification de ce nouvel Etat). Dans ces circonstances, il pourra être judicieux de retarder la délivrance du brevet et/ou de déposer une demande divisionnaire, de sorte que la protection unitaire demandée produise des effets sur un territoire plus étendu.

 

III- Décisions anticipées en relation avec la JUB     

Pour rappel, à compter de l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, la JUB aura une compétence exclusive pour traiter de la plupart des actions en matière de PI, non seulement pour les brevets européens pour lesquels l’effet unitaire aura été demandé, mais également pour les brevets européens classiques (pour lesquels l’effet unitaire n’aura donc pas été demandé après la délivrance). Une période transitoire de 7 à 14 ans a néanmoins été prévue dans l’Accord sur la JUB, afin que les actions en révocation ainsi que les actions en contrefaçon portant sur des brevets européens classiques puissent être portées devant la JUB ou devant les juridictions nationales compétentes. Ces dispositions de la période transitoire sont uniquement applicables pour les brevets européens classiques, et non pour les brevets européens à effet unitaire pour lesquels seule la JUB sera compétente.

En pratique, cela signifie que durant la période transitoire débutant dès l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, le titulaire d’un brevet européen classique pourra se voir assigné devant la JUB par un concurrent souhaitant la révocation de ce brevet. Pour le titulaire, il en découle un risque de révocation centralisée car une décision de révocation d’un brevet européen classique rendue par la JUB aura des effets sur les territoires de tous les Etats de la CBE dans lesquels le brevet européen produit des effets. En somme, la révocation prononcée par cette nouvelle juridiction aura valeur de révocation de l’ensemble des parties nationales du brevet européen concerné.

L’Accord sur la JUB prévoit cependant une procédure de dérogation à ce principe applicable durant la période transitoire. Cette procédure, dite « Opt-Out », permet à un titulaire d’un brevet européen classique d’échapper à la compétence exclusive de la JUB. A ce sujet, même si l’Accord sur la JUB présente une rédaction qui peut porter à débat, il ne fait aujourd’hui guère de doute que cette procédure de dérogation assure qu’en cas d’action en révocation initiée par un concurrent, celle-ci soit nécessairement portée devant une ou plusieurs juridictions nationales compétentes (et non devant la JUB). Dans cette hypothèse très probable et retenue pour ce qui suit, le titulaire déposant une demande d’Opt-Out évite ainsi le risque de révocation centralisée de son brevet européen classique.

Puisqu’une action en révocation pourra être introduite devant la JUB dès l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, il est prévu une période préparatoire à cette entrée en vigueur, dite « Sunrise Period », durant laquelle des demandes d’Opt-Out pourront être déposées par les titulaires de brevets européens (les dérogations pourront également concerner des demandes de brevets européens publiées, des certificats complémentaires de protection, ou encore des brevets européens déjà expirés mais encore susceptibles de faire l’objet d’actions en nullité dans les délais légaux nationaux de prescription). La « Sunrise Period » s’étalera sur plusieurs mois précédant l’entrée en vigueur du Paquet Brevet, et s’achèvera probablement avant la date de cette entrée en vigueur.

 

Décision 2 : Demandes d’Opt-Out durant la Sunrise Period

Dès à présent, les titulaires doivent donc s’interroger sur l’intérêt d’échapper à la compétence exclusive de la JUB pour tout ou partie de leurs portefeuilles de brevets européens classiques, afin de se tenir prêts pour l’éventuel dépôt de demandes d’Opt-Out durant la Sunrise Period, qui pourrait débuter très prochainement.

 

- Aspects décisionnels -

L’anticipation de ces décisions est importante, tout d’abord parce que celles-ci nécessitent de peser les avantages et inconvénients attachés à ce principe de dérogation. Par exemple, nous l’avons exposé ci-dessus, une demande d’Opt-Out permet d’éviter la révocation centralisée d’un brevet devant la JUB. Mais à l’inverse, si suite à une demande d’Opt-Out, un concurrent assigne en révocation le titulaire d’un brevet européen classique devant une juridiction nationale, le titulaire ne pourra alors plus porter une éventuelle action ultérieure en contrefaçon devant la JUB. Il sera alors privé d’une action centralisée susceptible d’aboutir à une décision favorable, pouvant être exécutée sur l’ensemble des territoires couverts par le brevet européen objet du litige. A cet égard, il est intéressant d’observer que cette dernière situation peut également se produire lorsque le titulaire n’a pas déposé de demande d’Opt-Out, puisque dans ce cas, le concurrent bénéficie d’un libre choix entre la JUB et les juridictions nationales compétentes pour porter son action en révocation. Il s’agit donc d’un inconvénient tout relatif attaché à la procédure d’Opt-Out.

D’autres avantages sont conférés par la procédure d’Opt-Out : elle n’est pas subordonnée à un paiement de taxe officielle, et il est possible de retirer sa demande d’Opt-Out à tout moment pour retomber dans le champ de compétence exclusive de la JUB, sauf si un concurrent a déjà intenté une action devant une juridiction nationale à l’encontre de ce brevet.

Selon notre point de vue, le fait d’éviter une action en révocation centralisée devant la JUB, ou, à tout le moins, de limiter les risques d’une telle action, constitue un élément déterminant pour orienter les titulaires de brevets européens classiques davantage dans la voie de l’Opt-Out. Il s’agit bien évidemment d’un conseil et non d’une obligation, et chaque titulaire prendra la décision qu’il considèrera la plus appropriée, en adoptant éventuellement des décisions distinctes pour les différents titres de son portefeuille.

Dans cette prise de décision sur la dérogation, le titulaire doit également tenir compte des dispositions qui le lient avec son(ses) éventuel(s) licencié(s), son(ses) éventuel(s) créancier(s), et/ou son(ses) éventuel(s) copropriétaire(s) dont la situation particulière est abordée ci-dessous dans la partie « Aspects pratiques ». 

 

- Aspects pratiques -

L’anticipation de ces décisions sur l’éventuelle dérogation est également importante car si une procédure d’Opt-Out est retenue, sa mise en œuvre ne s’apparente pas à une simple formalité.

Les demandes d’Opt-Out doivent nécessairement être formulées en ligne, via un site dédié dénommé « UPC Case Management System ». L’interface présente actuellement une version bêta accessible pour réaliser des tests. Dans la version actuelle, il est possible de déposer des demandes d’Opt-Out pour plusieurs brevets simultanément, lorsque ces derniers présentent le ou les mêmes titulaires. Les numéros des brevets concernés doivent être saisis manuellement sur le site. Alternativement, il sera peut-être possible d’importer dans le système une liste de brevets depuis un fichier annexe, mais les détails sur cette manière de procéder ne sont pas encore connus.

D’autre part, en fonction de la qualité du représentant effectuant la demande d’Opt-Out, la fourniture d’un pouvoir pourra être exigée. La préparation de ces pouvoirs (qui pourront porter sur plusieurs brevets), ainsi que leur signature par toutes les parties, nécessiteront un temps de traitement non négligeable. Idéalement, il serait judicieux de finaliser ces procédures de dérogation avant l’expiration de la Sunrise Period, et même bien avant cette expiration étant donné que des craintes ont déjà été formulées sur les risques d’encombrement du site dans les semaines précédant la clôture de cette période préparatoire.

La tâche sera d’autant plus compliquée pour les brevets européens classiques en copropriété, puisque l’accord sur le dépôt d’une demande d’Opt-Out devra être pris par tous les copropriétaires.

La durée nécessaire à la prise de contact avec tous les copropriétaires, à la prise d’une décision commune sur la demande d’Opt-Out, à l’éventuelle préparation des pouvoirs et au dépôt de la demande sur le site de l'UPC Case Management System, incite à anticiper au mieux la réflexion à ce sujet.

Enfin, toujours sur les aspects pratiques, ces demandes d’Opt-Out doivent être formulées par le(les) véritable(s) (co)propriétaire(s), sous peine de nullité de la demande. Les véritables propriétaires / copropriétaires sont ceux censés être enregistrés comme propriétaires au sens de la loi nationale de chaque Etat (partie à l’Accord sur la JUB) dans lesquels le brevet européen produit des effets. Dans le cas où les inscriptions ne seraient pas à jour sur les registres nationaux, une correction de ces registres n’est pas nécessaire mais une déclaration de propriété doit être déposée avec la demande d’Opt-Out, par les véritables propriétaires / copropriétaires non-inscrits sur ces registres. Cette déclaration peut s’effectuer en cochant une case prévue à cet effet sur le site de l'UPC Case Management System.

La préparation et le dépôt de la demande d’Opt-Out ainsi que de l’ensemble des pièces connexes devront faire l’objet d’une vigilance accrue car, la procédure étant entièrement automatisée, aucun examen de fond ne sera opéré par le greffe. La nullité d’une demande d’Opt-Out pourra ainsi être soulevée ultérieurement par un concurrent assigné en contrefaçon devant une juridiction nationale, dans le but de faire transférer l’affaire devant la JUB.

               

Le Cabinet Brevalex vous préconise d’amorcer le plus rapidement possible les réflexions et les prises de décisions évoquées ci-dessus, et ce pour l’ensemble de votre portefeuille. Nous restons bien évidemment à votre disposition pour vous épauler dans ces décisions. 

Notre Cabinet continuera d’informer régulièrement ses clients sur les avancées du Paquet Brevet, qui devraient être abondantes dans les semaines et les mois à venir. En particulier, nous suivrons avec attention l’évolution des ratifications en Allemagne et au Royaume-Uni, le déclenchement de la Sunrise Period, l’adaptation de notre loi nationale aux dispositions de l’Accord sur la JUB. Sur ce dernier point, nous constaterons peut-être un assouplissement du principe d’interdiction de double-protection. C’est en tout cas la position souhaitée par l’Allemagne, qui dans un récent projet de loi prévoit des cas possibles de double protection d’une part via un brevet national et d’autre part via un brevet européen classique (ne faisant pas l’objet d’un Opt-Out) ou un brevet européen à effet unitaire.

Dans cet océan d’incertitudes qui entoure encore le Paquet Brevet, une seule certitude émerge, celle de sa grande complexité.   

 

Brevalex – Mai 2017